Tite-Live a
laissé comme historien un nom plus célèbre et des ouvrages plus considérables
que Salluste. Né d’une famille consulaire à Padoue (Ville du royaume « Louis
Veniti ? », à 10 lieues de Venise, cette
ville renferme une université célèbre, des palais et des édifices superbes.
Elle fut détruite en partie en 1786 par
un tremblement de terre.), l’an 59 avant J.C., il ne parait plus avoir exercé
de fonctions publiques. Jaloux d’élever un monument durable à sa patrie, il
consacra 20années à son histoire Romaine. Cet ouvrage, divisé en 142 livres, embrassait
un espace de 744 ans. Il nous manque la partie la plus considérable et tout à
la fois la plus intéressante. On n’a conservé que les dix premiers livres sur
la première décade, 24 autres livres appartenant à différentes parties de
l’ouvrage, et quelques fragments découverts en 1772, dans un manuscrit trouvé
au Vatican. La bibliothèque impériale de Moscou possède dit-on, une traduction
complète de Tite-Live en langue Slavonne. Jean Freinsheim,
savant allemand du 17ème siècle, a tâché de suppléer aux livres
perdus ; il a imité le style et la manière de Tite-Live avec un rare bonheur ; mais ces deux
qualités ne sont qu’accessoires chez l’historien et rien ne saurait nous
dédommager de la perte des documents précieux contenus dans les 107 livres qui nous
manquent.
Auguste avait
mis les archives de la république à la disposition de Tite-Live, l’Historien
avait en outre eu recours à tous les monuments tant publics que particuliers,
de même qu’aux écrivains antérieur et surtout Polybe auquel il emprunta même
tout son 21ème livre. I rapporte avec simplicité les événements des
temps primitifs de Rome, ne mêlant nulle critique à ses écrits parce que les
prodiges qu’ils rappelaient faisaient partie de la religion, et qu’il était
nécessaire de les rappeler pour achever le tableau des mœurs et la peinture des
caractères. Le reproche de crédulité qu’on lui adressait, doit donc peser
plutôt sur son temps que sur lui-même.
Ce qu’on peut
reprocher avec raison à Tite-Line, c’est de n’avoir donné qu’une légère
instruction sur la grandeur des Romains, sur les progrès de leur puissance, et
sur les avantages ou les défauts de leur gouvernement ; mais cette réserve
tenait sans doute à ses progrès politiques.
Auguste qui
estimait singulièrement le talent de Tite-Live, l’appelait le Pompéien cause des éloges qu’il donnait à Pompée. Peut
être que cette plaisanterie d’Auguste devint un tort fort grave aux yeux de ses
successeurs ombrageux, et que le sentiment connu du maître, l’adulation de la
cour, la crainte de blesser le pouvoir rendirent les copies du grand ouvrage de
Tite-Live de plus en plus rares et ne contribuèrent pas peu à les jeter dans l’obscurité et encore
plus à en causer la perte.
En effet, parmi les parties que l’on regrette se trouve
précisément l’histoire des guerres civiles, et la même rigueur qui fit punir de
mort Crémutius Cordus, pour
avoir appelé Brutus le dernier des Romains, rendit bientôt les pages de
Tite-Live si peu communes, que sous Domitien en certain Métius
Pamponiamus emportait les fragments qu’il lisait dans
les scènes de Rome comme des raretés littéraires.
Peu d’écrivains
ont réussi comme >Tite-Live tous les mérites de l’historien ; aucun n’a
su retracer avec des couleurs plus vives sous les yeux de ses lecteurs la scène
même de l’action ; aucun n’a mieux développé les passions et les
intentions de ses principaux personnages, aucun n’a mis autant de vérité dans
leurs discours, ni même mieux conservé à chacun le caractère qui lui
appartient. Ses harangues en même temps donnent à ses ouvrages une forme dramatique, excitent puissamment
l’intérêt ; il montre plus clairement les vices des différents acteurs et
le mobile de leurs entreprises.
Quintilien a
caractérisé par une expression forte et énergique, mais qui n’a point
d’équivalent en Français, la douce abondance de Tite-Live et la suavité de son
style ; il l’appelle « Lactea Libertas ». Tite-Live sait prendre tous les tons, et
choisi le plus convenable à chaque fait qu’il rapporte. Le style, quoique varié
à l’infini, se soutient toujours également ; simple et sans bassesse, orné
sans affection, étendu ou serré, plein de douceur ou de force selon que la
matière l’exige, mais toujours clair.
On a sans cesse
comparé Tite-Live à Salluste, quoiqu’ils n’aient rien de commun que d’avoir
écrit l’histoire. Les couleurs de Salluste sont fortes, celles de Tite-Live
sont douces ; l’un fait admirer par son énergie rapide, l’autre par la
facilité brillante.
Quoique parfaite
que nous paraisse l’histoire de Tite-Live sous le rapport du style, Asinus Pollion, critique célèbre,
mais sévère, du siècle d’Auguste, reprochait à Tite-Live des Patavinités (de patavium,
Padoue) ; ce que l’on a régulièrement entendu par des solécismes et des
locutions provinciales, qui se sentaient de Padoue, la patrie de l’auteur. Si
ce reproche était fondé, il ne pouvait l’être que pour l’oreille délicate d’un
orateur du siècle d’Auguste ; car pour nous il nous est impossible
d’apercevoir la moindre tache dans la diction de Tite-Live. Cette accusation
même a quelque chose de si bizarre que certains philosophes lui ont donné un
sens tout à fait nouveau et on cru que
cette Patavinité dont on a tant parlé regardait
seulement l’orthographe de certains mots de Tite-Live, comme Padouan, a employé
une lettre pour une autre selon l’usage de son pays ; ou qu’elle
consistait seulement dans répétition de plusieurs synonymes dans la même
période, redondance qui déplaisait à Rome et faisait reconnaître les étrangers.
Quelques uns entre autres le savant Fréret, ont voulu
que cette accusation n’eut rapport qu’à sa partialité contre les gaulois, ou
pour Pompée, partialité commune, à ce qu’il parait, aux habitants de l’Italie
septentrionale.