Notice, Réflexions politiques et littéraires sur
Virgile

Bucoliques

Virgile paraît avoir été le premier, qui, sur les pas de Théocrite, ait fait connaître la poésie pastorale aux Romains. Ses dis épilogues ou Bucoliques sont, comme les autres ouvrages, des chefs d’œuvre de style et de poésie. Deux choses frappent dans les bucoliques : 1° La différence de la civilisation Grecque avec la civilisation Romaine ; 2° le caractère allégorique et politique donné à l’églogue latine. On a souvent comparé Théocrite à Virgile, et, dans des parallèles plus ou moins exacts, plus ou moins ingénieux, donné tour à tour la préférence à la naïveté du premier, à la délicatesse du second : comparaisons frivoles et mesquines. Ce qu’il s’agit d’examiner, c’est si chaque poète a reproduit fidèlement les maux qu’il voulait exprimer. L’imitation de la vie pastorale a, comme tout autre, ses règles et ses limites ; là, comme ailleurs, l’idéal doit reposer sur le réel, la fiction sur la vérité. La nécessité de cette dernière condition s’oppose chez nous à ce que nous possédions une véritable poésie pastorale. En effet, tantôt on s’est jeté dans les peintures fades d’une innocence imaginaire, tantôt dans des peintures plus nobles d’une grossière réalité. Plus heureux que nous, les anciens avaient sous les yeux l’image première, ou, pour mieux dire, moins éloignée des tableaux qu’ils retraçaient. Théocrite et Virgile avaient autour d’eux, dans les riantes campagnes de la Sicile, sous le ciel inspirateur de l’Italie, le fond de ces bergers qu’ils nous montrent. Mais sur un même fond, le caractère des figures doit changer et change. Les bergers de Théocrite se présentent sous une nature plus simple que ceux de Virgile ; on retrouve dans les épilogues de ce dernier les traces de la civilisation contemporaine. Ce mélange de naïveté et de finesse, de grâces délicates, d’ingénieuses flatteries, qui n’est point dans Théocrite, annonce une nature moins simple, une nature composé, dans la quelle l’esprit avec toutes ses inductions a remplacé la simplicité primitive.
Ce caractère particulier qui se trahit dans le détail même des églogues, éclate surtout dans l’idée première de quelques bucoliques. L’idée de cacher une flatterie politique sous un voile champêtre, de faire servir l’églogue tantôt à la reconnaissance, tantôt à la description des merveilles physiques, et quelque fois même de l’élever avec mesure et goût à la hauteur de la poésie lyrique, de la remplir de chants prophétiques, cette idée n’est pas seulement le fruit d’une civilisation avancée, elle a été aussi suggérée au poète par les circonstances au milieu desquelles il a vécu. La disposition particulière de Virgile a du le porter vers les images douces et riantes de la campagne, les malheurs qui ont entouré sa jeunesse et la protection d’Auguste qui les a fait cesser, lui faisaient un devoir de reconnaissance. Dès lors, se rencontre dans les ouvrages ce dessein non calculé peut être, dessein du reste auquel pourrait ne pas être étranger l’amour du pays, de donner à ses pensées et à l’ensemble de ses travaux un but politique, tantôt en réveillant chez les Romains, avec l’amour des champs, le désir du repos, tantôt en rattachant le souvenir de la famille de Jules aux souvenirs et au berceau du peuple Romain.

Géorgiques.

Le poème didactique le plus accompli de tous les temps, ce sont les géorgiques de Virgile. Le poème qui nous présente tant de charmes pour l’élégance et la facilité de la versification, par la couleur forte et vraie du style, par le naturel et la grâce des pensées, ade plus l’avantage d’attacher l’esprit par le fond même du sujet. Les travaux du laboureur intéressent l’homme de tous les temps, de tous les lieux, de toutes les conditions. L’éloge de l’agriculteur, un recueil de préceptes sur cet art devaient donc avoir un puissant but d’utilité pour les Romains ; le poème de Virgile devait naturellement les porter à faire la comparaison de leur état présent avec celui des heureux laboureurs dont ils étaient l’image, et par là ranimer en eux l’ancien goût de leurs pères pour les occupations champêtres. Virgile manifeste cette intention dans plusieurs endroits ; ce fut dit-on Mécène qui lui inspira cette idée par ordre d’Octave.
Un nouvel intérêt que nous présente les géorgiques, c’est celui de la poésie. Les inscriptions viennent s’y mêler naturellement aux préceptes et les animer. Les images de la vie rustique que le poète est obligé, par son sujet, de présenter à chaque instant, ont un charme infini pour tous les lecteurs. On a dit que les hommes, à mesure qu’ils se civilisent, perdent le goût de ces mœurs si rapprochées de la nature, et l’on a regardé ce fait comme une explication des défauts de nos pastorales ; mais c’est à tort ; si ce genre ne réussit pas chez nous, c’est uniquement  la faute de la langue et plus encore des poètes qui la manient.
Le plan des géorgiques est renfermé dans les quatre premiers vers de ce poème : la culture des terres, celle des arbres, le soin des troupeaux et celui des abeilles, tels sont les quatre sujets des quatre livres des géorgiques.

1er Chant

Après une invocation terminée par l’éloge d’Auguste, Virgile parle des travaux qui doivent préparer la terre à recevoir des semences, puis de l’ensemencement et des soins qu’il exige ; viennent ensuite l’énumération des divers instruments de labourage, la manière dont il convient de distribuer le temps, les différentes espèces de culture, la description de la sphère , l’exposé des occupations auxquelles le laboureur peut se livrer pendant les jours de fête ou d’orage, quelques avis superstitieux sur les jours que l’on doit craindre ou préférer pour certains ouvrages, enfin des pronostics tirés du lever et du coucher des astres ; ce qui sert au poète de transition pour rappeler la mort de César.

2ème Chant

Une courte exposition du sujet suivie d’une invocation à Bacchus, commence le 2ème chant. On voit ensuite la double reproduction, naturelle et artificielle, des arbres et des arbustes, les divers modes de culture, la variété du sol avec l’éloge de l’Italie ; la manière de reconnaître le terrain propre à chaque arbre, la plantation et la culture de la vigne, celle des autres plantes, détails qui sont terminés par un épisode sur le bonheur de la vie champêtre.

3ème Chant

Le troisième chant a pour objet l’éducation des troupeaux. Il se divise en deux parties, dont l’un traite des grands troupeaux et l’autre des petits. Dans la première, Virgile donne des conseils sur le choix des mères, à cette occasion, il peint la vache et l’étalon, une course de char et un combat de taureaux. Dans la seconde, il apprend quels soins exigent les brebis et les chèvres, le profit qu’on peut tirer de leur laine et de leur lait. Puis il s’occupe de la différence des troupeaux, et, à ce sujet, il parle des chiens et de leur nourriture. Ce chant se termine par une intéressante description d’une épizootie.

4ème Chant

Après une invocation à Mécènes, le poète donne des conseils sur le choix d’une habitation commode pour les abeilles, et propice à leurs travaux. Il parle du temps où les essaims se multiplient, il indique la manière de les fixer dans les lieux de leur naissance, et, à cette occasion il place le touchant épisode du vieillard d’Abalie . Il peint ensuite les combats des abeilles et le moyen de calmer leur fureur. Il écrit la régence intérieure de leur petite république, leurs immenses travaux, leurs étonnantes reproductions. Il montre à extraire le miel des ruches, il indique les signes qui annoncent les maladies des abeilles, et la manière de les guérir. Une réflexion lui fournit l’occasion de parler de leur reproduction artificielle, et amène l’histoire d’Aristée dans laquelle se trouve celle d’Orphée et d’Eurydice.
On a reproché à Virgile de n’avoir pas assez mis d’ordre dans les différentes parties de son poème ; ce reproche est-il fondé ? La méthode de Virgile, il est vrai, n’est pas rigoureuse, mais elle n’est ni embarrassée, ni confuse. Il est, pour un poème didactique, deux espèces d’ordre, l’ordre logique et l’ordre poétique. L’un et l’autre peuvent bien se contrarier, mais le choix de l’un ou l’autre est libre, et ce serait trop sévère que d’exiger d’un poème ce qu’on est en droit d’attendre d’un poème régulier. Or, Virgile possède au suprême degré le mérite de l’’ordre poétique, les ornements y sont distribués avec le goût le plus délicat ; il ménage à la fois ses lecteurs et ses ressources. Partout brille en lui cet esprit de discernement que la plupart des poètes n’ont qu’au début et à la fin de leur ouvrage ; il et dans chaque partie d’un chant le même soin de plaire et d’attacher  que dans le chant entier ; enfin, dans les plus petits détails, il trouve toujours une expression qui rehausse la pensée et lui prête une grâce infinie.

Style

Quand au style, il est impossible d’en donner une idée ; c’est au sentiment seul qu’il faut s’en remettre pour le juger. Il suffit d’observer qu’il est toujours élégant et que les idées les plus communes, les plus techniques, deviennent nobles et brillantes sous la plume du poète.
On connait assez tout ce que valent les tableaux, les descriptions, les épisodes des Géorgiques. Ces morceaux d’éclat, bien que supérieurs aux morceaux analogues des autres poètes didactiques, ne sont pas les seules sources de l’intérêt qui s’attache à la lecture de Virgile. La principale est l’art qu’il possède si bien de prêter ses sentiments à tous les objets dont il parle. Il anime tout ; il nous persuade que de êtres sans vie sont susceptibles des mêmes impressions que l’homme ;   à plus forte raison a-t-il su représenter les animaux comme capables d’amour, de joie, de pitié, comme on le voit dans l’épisode qui termine le 3ème chant.
Une chose digne de remarque, c’est  que Laharpe, dans le petit nombre de pages qu’il consacre aux poèmes didactiques, a oublié de parler de chef d’œuvre du genre.

Notice sur Virgile

Virgile, surnommé le prince des poètes latins, naquit à Andes, village près de Mantoue, le 15 octobre de l’an 70 avant J.C., d’une famille obscure et pauvre. Son père était potier ; Cependant il reçu pendant les premières années de sa vie une excellente éducation à Crémone et à Mediolanum (Milan). Parthénius lui apprit la langue grecque ; un épicurien, nommé Syron, lui fit connaître les différents systèmes des philosophes, parmi lesquels celui de Platon, fait pour séduire l’imagination du poète, l’attacha principalement. Après avoir la robe virile, il alla à Naples pour cultiver les lettres grecques et latines. Il s’appliqua ensuite aux mathématiques et à la médecine, surtout à la médecine vétérinaire ; mais il sacrifia bientôt à la poésie ces études qui avaient peu de charme pour lui.
L’an 40 avant J.C., Octave ayant distribué à ses soldats les terres de Crémone et Mantoue, le jeune poète dépouillé de l’héritage de ses pères et forcé de passer une rivière à la nage, pour échapper à à la poursuite d’un vétéran à qui il a voulu disputer son bien. Ce malheur fut le commencement de sa fortune. Etant venu à Rome, Varius à qui il s’était fait connaître avantageusement par diverses poésies, le présenta à Mécènes, et celui-ci le recommanda à Octave qui donna l’ordre de lui rendre son patrimoine.
Après avoir composé ses épilogues et ses géorgiques, Virgile entreprit l’Enéide à la prière d’Auguste, afin de faire aimer la monarchie aux Romains, et donna à Enée le caractère aimable et doux du nouvel empereur. Il employa 12 ans à la composition de l’Enéide, et ne put y mettre la dernière main. Ayant voulu accompagner Auguste en Orient, il tombât malade à Naples. Il eut assez de forces pour aller jusqu’à Athènes ; mais en revenant avec l’empereur, il mourut à Brindes, en Calabre, ou quelques uns à Tarente, le 22 septembre de l’an 19 avant J .C., à 51 ans. Il légua une partie de ses biens à ses amis, particulièrement à Mécène et à Auguste. Il avait ordonné par son testament de bruler son Enéide, regardant ce poème come trop imparfait. Heureusement cet ordre ne fut pas exécuté; L’empereur sauva une seconde fois des flammes sa chère Troie. Il confia le poème à deux littérateurs éclairés, Varius et Tucca, avec ordre d’en retrancher les endroits défectueux, mais sans rien n’y ajouter : de là vient qu’on n’y trouve tant devers imparfaits. Le corps de Virgile, comme il l’avait demandé, fut porté près de Naples, et l’on mit sur son tombeau ces vers qu’il avait, dit-on, fait pour lui-même en mourant :
Mantua me genuit ; Calabri rapuere ; tenet nunc
Parthenope : cecini pascua , rura, duces
Virgile était d’une modestie qui dégénérait en timidité. Sa gloire l’embarrassait souvent. Quand la multitude accourait pour le voir, il se dérobait en rougissant.
Quoique Virgile ne soit venu qu’après Homère, et qu’il l’ait imité dans le plan de son poème, cependant c’est une question indécises et qui sera probablement toujours, de savoir lequel des deux grands poètes a le mieux réussi dans la poésie épique.. On accorde généralement à Virgile des beautés plus nombreuses, plus continues, mais moins de génie ; Quintilien le place immédiatement après Homère. Presque tous les écrivains distingués de son siècle sont plein d’admiration pour lui. Properce l’élève au dessus de l’auteur de l’Iliade. Enfin, plusieurs écrivains des siècles suivants, Silius Italicus surtout, lui vouèrent presqu’un culte comme à une divinité.
Les œuvres de Virgile ont été l’objet de tant de jugement, et les critiques les ont approuvées d’une voix si unanime ; que nous croyons pouvoir emprunter sur ce sujet quelques lignes à Laharpe.
« Quand on ne nous aurait pas appris que Virgile était l’adorateur d’Homère, au point qu’on l’appelait l’homérique, il suffirait de le lire pour être convaincu. Il le suit pas à pas, mais on sait que faire passer ainsi dans sa langue les beautés d’une langue étrangère, a toujours été regardé comme une des conquêtes du génie. Quand Virgile traduit Homère, s’il ne l’égale pas toujours, quelques fois il le surpasse. Dans les églogues, Virgile se montre beaucoup plus varié que Théocrite, qu’il imite ; il est aussi plus élégant ; ses bergers ont plus d’esprit, sans jamais en avoir trop. Son harmonie est d’un charme inexprimable ; il a un mélange de douceur et de finesse qu’Horace regarde avec raison comme un présent particulier que lui avaient fait les muses champêtres, ‘molle atque tacetum’. Il vous intéresse encore pus vivement que Théocrite aux jeux et aux amours de ses bergers ; nulle négligence, nulle longueur. Tout est vrai et pourtant tout est choisi. Enfin, cette perfection de style, qui est la même dans tous les écrits, fait qu’on ne peut pas le lire sans el savoir par cœur, et que, quand on le sait, on veut le relire encore pour le gouter d’avantage. »
Le premier défaut que l’on ait remarqué dans l’Enéide, est le caractère du héros. Autrement, il n’y a pas le plus petit reproche au pieux Enée : il est d’un bout du poème à l’autre, absolument irrépréhensible ; mais aussi, n’étant jamais passionné, il n’échauffe  jamais et la froideur  de son caractère se répand sur tout le poème. On convient assez que la marche des six premiers chants de l’Enéide est à peu près ce qu’elle pouvait être ; mais ce qu’on a généralement condamné, c’est le plan des six derniers livres : c’est là qu’on attend les plus grands effets, en conséquence de ce principe, que tout doit aller croissant, comme Homère l’a si bien pratiqué dans l’Iliade ; et c’est là malheureusement que Virgile devient inférieur à lui-même et à son modèle. La fondation d’un état qui doit être le berceau de Rome ; une jeune princesse (Lavinie) qu’un étranger amené par les oracles, vient disputer au prince qui doit l’épouser, les différents peuples de l’Italie, partagés entre les deux rivaux ( Turnus et Enée) ; tout semblait promettre à l’action, du mouvement, des situations et de l’intérêt. Au lieu de cela que trouve-t-on un roi Latinus qui n’est pas maitre  chez lui ; une Lavinie dont il est à peine question ; une reine Amate qui, après la défaite des Latins, se pend à une poutre de son palais ; enfin Turnus tué par Enée, sans qu’il soit possible de prendre intérêt, ni à la victoire de l’un, ni à la mort de l’autre. Tel est le jugement que la postérité sévèrement équitable, paraît avoir porté sur ce qui manque à l’Enéide. Mais, malgré tous ces défauts, ce qui reste de mérite à Virgile suffit pour justifier le titre de prince des poètes latins, qu’il reçut de son siècle et l’admiration qu’il a obtenue de tous les autres.
L’Enéide est la seule épopée du siècle d’Auguste ; car on ne peut désigner sous ce nom le poème mythologique de Catulle, intitulé « les noces de Pelée et de Thétis », et celui de Helvius Cinna, qui porte le nom de Smyrne, et dont les fragments sont si peu considérables, qu’ils ne suffisent pas pour en faire deviner le sujet.





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