Nicolas Boileau
Despréaux naquit en 1636, par une particularité remarquable, dans la chambre
même où fut composé la satyre Ménippée.
Cette prédestination satyrique fut longue à se
montrer. Comme la plupart des jeunes gens qui ont le goût des vers, il commença
par une tragédie : il racontait lui-même dans la suite, que dès le premier
acte il avait introduit 4 géants sur la scène. On voit par là que dans son début, il
n’avait point rencontré son talent. Sa propre famille ne le connaissaitpas plus qu’il ne se connaissait lui-même.
Son père disait souvent, en le comparant à ses autres frères : « Pour
Colin, c’est un bon garçon qui ne dira jamais de mal de personne ». Après
avoir achevé ses études, il suivit quelques temps le barreau et fut reçu avocat
à l’âge de 21 ans. Mais les visions d’Acurbe et d’Alciat, dont il s’est moqué
dans le lutrin, ne pouvaient plaire au futur disciple d’Horace et de Juvénal.
Il déserta bientôt l’antre de la chicane au grand scandale de sa famille et
surtout de son beau-frère Dougois, qui jugea dès lors que le jeune Despréaux ne
serait jamais qu’un sot. Boileau peint lui-même dans ses épitres la surprise de
ses parents lorsqu’il suivit son penchant pour la poésie :
Fils, frère,
oncle, cousin, beau frère de greffier,
Pouvaient
charger mon bras d’une utile liasse ;
J’allais loin du
palais errer sur le Parnasse ;
Ma famille en
pâlit et vit, en frémissant,
Dans la poudre
du greffe un poète naissant
Cependant il ne
céda pas d’abord à son inclination et passa par la Sorbonne pour passer au
Parnasse. Il obtint, dit-on, un prieuré qui lui valut 800
livres de rente, et qu’il vendit 8 ou 9 ans après. Ce ne
fut donc qu’après avoir essayé de plusieurs états différents sentit enfin
« que son astre en naissant l’avait formé poète », et qu(‘’il se
livra, tout entier aux lettres. Sa première satyre (ses adieux à Paris) annonça
ce qu’on pouvait espérer de son talent. Pour apprécier la correction de style
et l’élégante versification qu’on trouve dans cette satyre.il faut se reporter
au temps de sa composition. A cette époque, on applaudissait, il est vrai, aux chefs d’œuvre de Corneille, aux pièces de
Molière ; mais Chapelain était encore l’oracle de la littérature Française, et,
l’Académie portait le deuil de Voiture (Voltaire). Lorsque les 7 premières
satyres parurent, en 1666, avec un discours au Roi, elle eurent un succès
prodigieux : « non pas, dit Laharpe, parce que c’était des satyres,
mais parce que personne n’avait encore si bien écrit en vers ». Boileau
était en effet le premier qui apprit aux Français a toujours chercher le mot
propre, à lui donner sa place, à faire valoir les expressions par leur
arrangement, à relever des petits détails, à cadencer la période, enfin à connaître toutes les ressources de la
langue poétique. Voilà ce qu’ont dut admirer en lui dès le début de sa
carrière, voilà ce qui lui mérita les plus honorables suffrages et d’abord
celui de Molière. Celui-ci devait lire quelques sens de la traduction de
Lucrèce (de natura Deorum) dans une société où se trouvait le satyrique ;
Boileau lut d’abord sa satyre adressée à Molière sur la difficulté à trouver la rime. Quand Molière
l’eut entendu, il ne voulut plus lire sa traduction, disant qu’on ne devait pas
s’attendre à des vers aussi parfaits que ceux de Despréaux, et qu’il lui
faudrait un temps infini s’il voulait comme lui travailler les ouvrages.
On a reproché à Boileau d’avoir souvent dit en bon Français des choses
futiles, et Voltaire disait en comparant les sujets du satyrique Français avec
ceux que Pope a traité :
Qu’i l peigne de Paris les
tristes embarras
Ou décrive en beaux vers un
fort mauvais repas
Il faut d’autres objets à
notre intelligence
Mais il faut
faire observer ici que dans la satyre du mauvais repas, remplie de vers que
tout le monde a retenus, le poète sème adroitement plusieurs détails
accessoires qui ne sont point sans intérêt pour le fond. Il ne faut pas oublier
d’ailleurs que Despréaux a fait des satyres sur les folies humaines, sur la
noblesse, sur l’homme ou le sujet est peut être moins approfondi que dans Pope,
mais où respire une morale saine, pure, élevée. Au reste ce n’est pas la
profondeur des pensées, c’est le mérite si rare de faire des beaux vers, c’est
le style qui fait vivre, sentir, admirer les ouvrages des poètes. Ce mérite, ce
style se trouvent dans toutes les satyres de Boileau ; il est toujours
vrai dans ses tableaux comme dans ses jugements. La satyre, adressée à son
esprit, sera toujours regardée comme un modèle, et doit plaire surtout à ceux
qui savent qu’il est plus facile d’exprimer en vers des maximes de morale que de joindre l’élégance et le bon ton à
une plaisanterie piquante et ingénieuse. Nous ne dirons rien des satyres sur
l’équivoque et sur l’homme, les plus faibles de toutes dans la satyre sur les
femmes. Boileau revient trop souvent sur la même idée : son plus grand
défaut est d’être monotone et de manque de gaité dans un sujet où la gaité
n’était pas moins nécessaire que la variété.
Boileau avait
publié les meilleures satyres à 30 ans. A l’âge de la maturité, il composa les
épitres qui sont aujourd’hui plus estimés que le satyres. La versification y
offre plus de souplesse et de grâce, le style plus de naturel et d’égalité,
plus de couleur et d’énergie, les pensées plus de force et d’enchainement. En
lisant son épitre sur le passage du Rhin, on regrette qu’il n’ait pas exercé
son talent dans l’épopée sérieuse. Homère pour peindre la majesté du roi de
rois aurait envié à Boileau ces vers admirables :
Louis les aimant
du feu de son courage
Se plaint de sa
grandeur qui l’attache au rivage
Après avoir
créé, pour ainsi dire la langue poétique et produit des modèles en plusieurs
genres, Despréaux a mérité le droit d’être le législateur du Parnasse. Il fit
l’art poétique, ouvrage qui l’emporte de beaucoup sur l’épitre aux Pisons
d’Horace, pour la régularité du plan, pour le bonheur des transitions, pour
l’élégance ferme et soutenue de l’harmonie. Mais Boileau si juste envers ses
contemporains dans les éloges comme dans les critiques, si exact à tracer le
caractère et les règles de chaque genre d’écrit, n’a oublié qu’u genre et qu’un
homme : la fable et La
Fontaine. On ne sait comment s’expliquer ce silence.
Craignait il de déplaire en louant le panégyriste et l’ami de Fouquet ? Ou,
doué d’un goût plus austère que fin, ce grand homme élevé à l’école de
l’antiquité ne put-il être le premier à sentir vivement les beautés dont les
anciens n’offrent point de modèle. Quoiqu’il en soit, si Despréaux a négligé
l’Apologue, il a donné trop d’importance au sonnet. « Un sonnet sans
défaut vaut seul un long poème » a-t-il dit. A moins qu’il n’ait mis dans ce passage quelques traits d’ironie.
Le début du poème pourrait être plus heureux et la satyre qui commence le 4ème
chant nous parait déplacée. Malgré quelques défauts, l’Art poétique dès son
apparition fit la loi au Parnasse, non seulement en France, mais même chez les
étrangers qui le traduisirent.
Comme tous les
législateurs, Boileau fit des mécontents ; mais il fut dédommagé de leurs clameurs par les suffrages des goûts de
goût. Il allait bientôt produire un autre chef d’œuvre pour répondre à ceux qui
lui reprochaient d’être stérile, sans souplesse et sans variété ? Un
pupitre placé et déplacé avait jeté la
discorde dans un chapitre de Paris : Le Président Lamoignon défia le poète
de traiter ce sujet, et Boileau fit le lutrin. Dans cet ouvrage, il porta
beaucoup plus loin que dans un autre l’art d’anoblir les petits détails ;
le début surtout en est très heureux. Les 4 premiers chants du lutrin n’ont
rien de comparable, en leur genre, dans aucune langue, et surpassent de
beaucoup pour l’invention, pour la richesse et le naturel des peintures, la
boucle de cheveux enlevée des Pope, à laquelle en poème a quelque fois été
comparé.
Tels sont les
véritables titres de Despréaux aux éloges de la postérité. Quant
à son ode sur la prise de Namur, elle ne vaut pas l’honneur que Rollin lui fit
de la traduire en vers latins, et dans Epigrammes il est noté généralement
inférieur à lui-même. La prose est toujours claire, mais elle manque de couleur
et d’harmonie, si l’on en excepte cependant son dialogue des héros de roman qui
rappelle quelquefois la finesse et l’esprit de Lucien.